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24 janvier 2022 - 17:30

De quoi Morocco Tech est-il le nom ?

Tout un ministère délégué de la transition numérique rattaché au Chef de gouvernement (ledit ministère est en charge également de la réforme de l’administration). Une avancée à saluer dans le long et difficile chemin qui reste à parcourir pour la mise en œuvre d’une gouvernance du numérique ambitieuse, efficace, agile, évolutive et impactante. En 30 ans, il y a eu une accumulation de réflexions aussi bien au niveau public que privé et de fortes initiatives sur le plan des infrastructures, de la réglementation et de l’investissement pour faire de l’usage des technologies de l’information et de la communication un levier-clé du développement économique et de promotion sociale.

La prise de conscience en haut lieu est à dater au milieu des années 90 avec l’introduction d’internet au Maroc (1995). L’ouverture politique marquée par l’arrivée d’un gouvernement d’alternance dirigé par le socialiste feu El Youssoufi (1998-2002) a permis de poser les premiers jalons avec la création d'une Autorité indépendante de régulation des télécoms (ANRT) et l’attribution d'une licence pour un 2ème réseau GSM pour plus de 1 milliard de dollars. La dynamique s'est poursuivie avec les gouvernements Jettou, El Fassi, Benkirane et El Othmani qui se sont succédés. Les approches et les rythmes n'étaient pas les mêmes. Parmi les fortes initiatives, la mise en place du comité national e-Gov pour le développement de l'administration électronique en 2003, devenu comité stratégique des TIC en 2004, le déploiement de la stratégie "e-Maroc 2010" en 2005, le coup d’envoi du programme "Maroc Numérique 2013", l'attribution d’une troisième licence GSM, et la création de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) en 2009. Plus récemment, la création de l’Agence de développement du digital (ADD) en 2017 et le lancement du "Pacte Maroc Digital" en 2020 ont fini par figurer aussi dans le palmarès des dispositifs liés au digital dans notre pays.

 

"Les différentes initiatives lancées restent manifestement insuffisantes pour assurer les pré-requis d’une transformation digitale aboutie et résorber une fracture numérique patente que la crise de la Covid-19 n’a fait qu’exacerber" : Avis du Conseil économique, social et environnemental (19 janvier 2022).

 

Bien évidemment, lesdites politiques n’ont pas réussi à atteindre l’ensemble des objectifs fixés. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) l’écrit noir sur blanc dans son dernier avis «Vers une transformation digitale responsable et inclusive», daté du 19 janvier 2022. "Les différentes initiatives lancées restent manifestement insuffisantes pour assurer les prérequis d’une transformation digitale aboutie et résorber une fracture numérique patente que la crise de la Covid-19 n’a fait qu’exacerber", peut-on lire dans cet avis.


Une marque, un tollé… et des interrogations


Place au gouvernement Akhannouch qui vient de boucler ses 100 jours de mandat. Notre think tank, Digital Act, attendait avec beaucoup d’intérêt le premier acte dans le domaine du numérique. Et le ministère de tutelle créa "Morocco Tech". Une brand nation ? Un label ? Un mouvement ? Une plateforme ? Une stratégie ? Un écosystème ? Un dispositif ? Il aura fallu suivre en direct l’événement de lancement organisé par le département de tutelle, le 14 janvier 2022, avec l’appui de quelques partenaires, et en étroite collaboration avec l'Apebi (Fédération regroupant les opérateurs des technologies de l'information et des télécommunications). Concocté dans la plus grande discrétion, cet événement est marqué par l’absence remarquée des opérateurs télécoms et du régulateur des télécommunications (ANRT). Le cas également de certains ministères impliqués de près par la question du numérique notamment celui de l’Industrie et du commerce.

Force est de constater que les différentes interventions des partenaires publics et privés invités n’ont fait qu’installer la confusion dans les esprits. Pis encore, susciter des déceptions. Preuve en est, les réseaux sociaux se sont rapidement déchainés pour critiquer et décrédibiliser l’initiative. La levée de boucliers a atteint son paroxysme avec la découverte du site internet de "Morocco Tech" accessible avec le nom de domaine ".org" appartenant à une société digitale privée. Quid du ".ma" et du ".com" ? Sans parler de l’hébergement dans un serveur européen à l’heure où on parle de Cloud national et de souveraineté numérique et du dépôt de la marque « Morocco Tech » par une personne physique auprès de l’Ompic qui a répondu par une fin de non-recevoir, selon des révélations de la presse.

Autant de couacs qui frisent le ridicule et qui ne font qu’attester de la légèreté et le non sérieux qui ont prévalu dans la mise en place de l’initiative "Morroco Tech". Plusieurs voix critiques ne cessent d’ailleurs de s’élever pour exiger des explications au ministère de tutelle et à ses partenaires privilégiés qui ont collaboré pour le lancement de ladite initiative. Pour l’heure, c’est silence radio. Concours de circonstances ou pas, quelques jours, après l’annonce de "Morocco Tech", le CESE a partagé un avis sur la transformation digitale. A aucun moment, "Morocco Tech" n’est cité dans le discours de son président, ni dans celui de la Ministre de tutelle invitée à cette occasion. Dans une déclaration accordée à un média, le 24 janvier 2022, la ministre de tutelle a tenté d'expliquer les différents couacs sans pour autant convaincre. Face au tollé soulevé par cette question, son département a fini par reprendre la main sur le dépôt de la marque. 

 

Et maintenant ?

 

Maintenant qu’on sait que "Morocco Tech" est une marque sensée porter des ambitions et les engagements du Maroc dans le domaine du numérique, qu’en est-il de son contenu, de son positionnement et de sa promesse ? Le seul document disponible est à chercher au niveau du site web. Il faut prendre le temps de lire le manifeste de 6 pages dans l’espoir de trouver des éléments concrets, dont le seul se décline comme suit :

 

Manifeste de la marque "Morocco Tech" : Un engagement à être dans les 10 destinations mondiales les plus prisées pour les investissements dans les technologies numériques.

 

Quid de la stratégie, de la gouvernance, des moyens, du mode d’emploi… pour y parvenir ? Pas un mot dans le manifeste branding. Il est intéressant de constater que l’ADD, institution dépendante aujourd’hui du Ministère n’est à aucun moment cité dans ce manifeste. L’ADD, rappelons-le, est le bras armé digital qui est sensée accompagner la mise en place de la transformation numérique nationale et dont la feuille de route 2020-2025 a été validée par le gouvernement sortant.

Une question fondamentale : De quoi "Morocco Tech" est-il le nom ? Au sein de Digital Act, nous sommes convaincus que l’idée d’un brand nation digital marocain est nécessaire. C'est un levier pour faire rayonner les startups nationales et séduire les investisseurs internationaux. En principe, une marque avec autant d’enjeux et d’aspirations doit être la résultante d’une stratégie bien mûrie, fruit d’une consultation élargie. A ce propos, nous ne savons pas si l’Exécutif compte poursuive le dispositif "Pacte Maroc Digital" concocté par l’ancien gouvernement. Le cas aussi pour la déclinaison du nouveau modèle de développement qui place le numérique comme une priorité : "Un véritable levier de changement et de développement. Il convient de lui accorder un intérêt particulier au plus haut niveau de l’Etat comme catalyseur de transformations structurantes et à fort impact". Au final, "Morocco Tech" devait consolider les acquis, donner corps et cohérence à l’ensemble des défis et des recommandations pour ne pas tomber dans le piège d’un gadget marketing et événementiel qui fait la risée des internets et porte un sérieux préjudice à l’image du royaume.