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22 septembre 2019 - 11:25

E-service public au Maroc : Etat des lieux (Par Amale Kada, Digital project manager-contributrice Digital Act)

La transformation digitale est à la fois un concept et un métier en pleine expansion couvrant aujourd’hui plusieurs domaines. Au Maroc, l’Etat en est bien conscient, et a même mis en œuvre des stratégies, dont la dernière en date est le Plan Maroc Digital 2020 déployé par le ministère de l'Industrie, de l'investissement, du commerce et de l'économie numérique. Digitaliser 50% des démarches administratives, telle la grande ambition de ce plan. Pas besoin de rappeler ici l’impact du digital dans l’amélioration de l’efficacité des services publics, du traitement et de la traçabilité de l’information, de l’ancrage de la culture de transparence en matière de gouvernance publique.

La politique de digitalisation a démarré depuis de longues années à travers le déploiement de sites et d’applications, dont certains ont été élaborés dans le cadre du Plan Maroc Numérique 201
3. Un plan qui n’a pas atteint la moitié de ses objectifs selon la Cour des comptes, ce qui confirme que le chemin à faire est encore long.


Quid du e-service existant (la liste n’étant pas exhaustive)

Site internet
L’un des outils digitaux les plus utilisés par l’Administration marocaine est bien entendu le site web. Certains sites font office de présentation de différentes rubriques et partage d’informations et actualités. D’autres comportent un e-service avec un suivi de dossier ou une demande en ligne (passeport.ma et consulat.ma) et même un service de paiement en ligne. Une avancée palpable qui permet au citoyen de faire le suivi de ses demandes en ligne et ne plus
devoir se déplacer pour avoir toutes les informations nécessaires pour ses procédures.

-Applis mobiles
Les applications sont les supports les plus utilisés à travers le monde. Plus faciles d’accès que les site web, elles permettent de recevoir des notifications ou/et de rester connectés, contrairement aux sites web qui ne le permettent pas. Au Maroc, plusieurs applications existent, mais leur utilité est peu palpable vu que la majorité ne comporte que les fonctions qu’un site web peut déjà couvrir, notamment l’affichage d’information, les actualités et les procédures.


-Plateforme
L’une des plateformes digitales nationales les plus connues et réussies est Massar. La plateforme a couvert un besoin qui était criant, celui de faciliter l’accès au dossier scolaire et son suivi pour les élèves et leurs parents.

-Réseaux sociaux 
Plusieurs comptes officiels, administratifs ou gouvernementaux existent, mais interagissent peu avec le citoyen. Une expérience positive à méditer est celle de la page Facebook de l’arrondissement de Maarif à Casablanca https://fr-fr.facebook.com/maarifcom/. Une page active et riche en publications utiles : travaux, évènements culturels et sportifs. Cette page permet aussi le recueil de réclamations des citoyens sur son périmètre à travers la messagerie instantanée ou par WhatsApp via un numéro dédié, et surtout l’affichage des résultats de leurs interventions suite aux réclamations. L’arrondissement interagit avec les commentaires, ce qui permet en plus du e-service rendu, de montrer la volonté d’être à l’écoute du citoyen.

Concernant Twitter, les comptes sont nombreux sauf que l’interaction n’est pas vraiment au rendez-vous. La plupart d’entre eux servent à partager l’actualité, sans pour autant interagir avec les internautes. Un compte qui peut retenir l’attention est celui fraichement créé par la Direction générale de la sûreté nationale. Entre actualités, annonces et démentis officiels, il est intéressent de souligner l’utilisation du digital pour la valorisation des métiers et le savoir-faire de ladite direction. En matière de digital, le volet humain est important pour dégager un sentiment de fierté et d’appartenance et renforcer la communication externe.

-Campagne digitale
L’appel à contribution «Digital Fikra», lancé par le secrétaire d’Etat chargé de l’Investissement auprès du ministre de l’Industrie, du commerce et de l’économie numérique, Othman El Ferdaous, sur plusieurs réseaux sociaux a connu la participation de plusieurs internautes et produit des résultats concrets, notamment l’appel à projet IA publié par le
Centre national pour la recherche scientifique et technique avec le soutien de l’Agence de développement du digital. Une initiative intéressante qui a réussi à établir un échange national ouvert et dynamique sur les réseaux sociaux entre les internautes et le secrétaire d’Etat. Un échange digital qui a permis d’impliquer des experts et des citoyens en leur donnant l’opportunité de partager leurs avis et expériences sur le sujet, d’être une force de proposition et participer activement aux politiques publiques de demain.

-Open data
Les données ouvertes de l’administration marocaine existent, mais les jeux de données sont peu nombreux : 9 thèmes avec un total de 135 jeux de données à fin juillet 2019. En matière d’open data, le Maroc est classé 42ème sur l’échelon mondiale, selon le rapport 2018 de l’Open Data Inventory, (134ème place en 2017). Le royaume occupe la 3ème place en Afrique et la 2ème dans le monde arabe. Des classements intéressants, mais pas suffisants. Il est donc primordial d’investir dans ce domaine pour étoffer encore plus les thèmes existants et en créer d’autres, vu que l’open data est la base de plusieurs grands sujets digitaux à venir, notamment la smart city et l’innovation digitale.

Les enjeux de l’Administration en ligne sont énormes pour le Maroc. Une stratégie nationale globale est vitale dans ce domaine. C’est un chantier immense sur lequel planche l’Agence de Développement du Digital. L’intérêt d’avoir cette stratégie nationale est de garantir une cohérence des outils utilisés (software management) et déployer une stratégie fonctionnelle nationale SI et technique (architecture SI, urbanisme, interfaces…) afin d’optimiser les ressources et simplifier les outils. L’objectif étant d’assurer un déploiement national homogène. Aujourd’hui plusieurs plateformes ont du mal à être maintenues et animées. Faites le test ! Cela saute aux yeux et se voit aux premières visites et aux commentaires laissés par les utilisateurs. Quelle perte de crédibilité pour ces services ! D’où la nécessité d’un travail d’amélioration continue.

Les leviers à actionner

-Innovation
Offrir des services publics en ligne de bonne qualité nécessite un investissement dans l’innovation. Il serait intéressant d’organiser des partenariats d’innovation sur plusieurs thématiques relatives à l’administration ouverts aux entreprises marocaines et startups, pour encourager l’innovation dans ce domaine et favoriser l’implication du tissu entrepreneurial digital.

-Smart city
Digitaliser la ville pour assurer une meilleure optimisation des ressources et le bien être des citadins. En matière de e-services publics, la smart city est au cœur du dispositif, nécessitant de fédérer l’ensemble des acteurs de la ville. Tout peut être bon à digitaliser : mobilité, éclairage public, collecte des déchets, gestion des espaces publics… Un tel chantier repose sur deux piliers. Le premier porte sur l’open data. Un large panel de données est nécessaire pour analyser la ville et repérer ses dysfonctionnements, mais aussi les opportunités et nouveaux usages possibles à développer. L’expérimentation est le second pilier. Il est vital d’expérimenter notamment au niveau des quartiers afin de tester les concepts «smart» dans un laboratoire à ciel ouvert avant leur déploiement à grande échelle.

-Cybersécurité
Plus un système est digitalisé, plus il devient une cible d’intrusion et d’attaques  informatiques. La cybersécurité est une condition sine qua non à renforcer au fur et à mesure de l’avancement de la digitalisation des services publics. Certaines administrations ont payé cher leurs failles sécuritaires à l’instar de la ville de Baltimore https://www.bbc.com/news/world-us-canada-48371476 , dont le système central a été hacké en mai 2019. En trois semaines, plus de 600.000 citoyens ont été privés de services en ligne. Pour un pourvoyeur de service public, se protéger en déployant les moyens nécessaires pour sécuriser les systèmes informatiques et les données sensibles n’est plus un luxe !

-Communication
Une transformation digitale en l’absence de communication digitale ne peut atteindre ses objectifs. Là aussi, il est important d’élaborer une stratégie de communication globale déclinée en différentes actions applicables pour chaque chantier. Dans ce cadre, un refonte graphique cohérente pour les supports digitaux peut être intéressante afin d’établir une charte homogène au niveau national, mais surtout pour adapter les éléments traditionnels existants au digital. Construire une vraie stratégie de présence sur les réseaux sociaux s’impose également à travers la promotion du contenu digital qui pour le moment reste timide.

Un service minimum non digital

Si la digitalisation des services publics a de multiples avantages, il faut souligner que des citoyens ne s’approprient pas et ne maitrisent pas les outils digitaux. Faut-il rappeler que 1 Marocain sur 2 a accès à internet. Certains citoyens doivent fournir de grands efforts de recherche pour savoir que des e-services publics existent. Il est impératif de garder un service minimum non digital dans nos institutions pour ne pas exclure une bonne partie de la population et proposer en même temps des services d’accompagnement à l’utilisation des supports numériques à travers des programmes de formation dans les écoles publiques, encourager les associations et la société civile à s’intéresser au sujet de la digitalisation des services publics. Un plan de communication digitale plus efficace doit être instauré à travers des campagnes publicitaires ciblées pour faire connaître les e-services publics existants aux citoyens et sonder leur niveau de satisfaction.