GITEX Africa Morocco : Attention aux désillusions !
Par Mohamed Douyeb, président cofondateur de Digital Act
Du projet mort-né de la brand nation "Morocco Tech" à l'accueil du GITEX Africa… il s’est passé des choses, en un an et demi, au sein des arcanes de décision sur l’avenir du digital. En un mot, il n’est pas question pour le Maroc de lâcher prise quand il est question du numérique ! En abritant le GITEX Africa (31 mai-2 juin 2023, Marrakech), version africaine du prestigieux salon international, organisé depuis 40 ans à Dubai, le royaume gagne en influence auprès du ghota mondial de la tech. A lire la presse et les réseaux sociaux, tout le monde ou presque s’accorde à dire que cette première édition est prometteuse, voire un succès. On met en avant surtout le nombre d’exposants, la forte présence des officiels d’ici et d’ailleurs, les chiffres de participation record ou encore les conventions de partenariat bien qu’elles soient très timides.
Le GITEX Africa est définitivement marocain !
S’il faut retenir une seule grande annonce de cette première édition, c’est que GITEX Africa élira, chaque année, domicile au Maroc. Le royaume s’offre donc une belle tribune sur la scène digitale mondiale. De quoi consolider le positionnement du pays comme le porte-voix privilégié de l’Afrique sur les différentes questions relatives au numérique sur les plans économique, social et culturel. Des questions de plus en plus sensibles et complexes, dont les derniers développements de l’intelligence artificielle suscitent de vifs débats notamment en matière de gouvernance et de régulation.
En déroulant le tapis rouge au GITEX Africa, le Maroc n’a plus le choix. Il doit passer à un stade supérieur en démontrant, le temps d’une édition de GITEX, au monde ses avancées dans les domaines de l’innovation, du numérique et des startups. La pression est grande ! De quoi normalement pousser les principales parties prenantes à accélérer le rythme d’exécution de plusieurs chantiers prioritaires. Faut-il rappeler, dans ce cadre, le dernier Avis du Conseil économique, social et environnemental (janvier 2022), selon lequel "les différentes initiatives lancées restent manifestement insuffisantes pour assurer les pré-requis d’une transformation digitale aboutie et résorber une fracture numérique patente que la crise de la Covid-19 n’a fait qu’exacerber".
Et le grand absent du GITEX Africa 2023 est…
S’il y a une personnalité marocaine influente dans l'écosystème de l'innovation qui a brillé par son absence lors du GITEX Africa 2023, c’est Mostafa Terrab, président de OCP Group. Quand on sait le gigantesque travail fourni par le groupe public marocain dans le développement de la R&D, à travers notamment des écosystèmes bâtis autour de l’Université Mohammed V Polytechnique (UM6P) et les partenariats fédérateurs signés à l’international… il mérite une tribune d'honneur dans le cadre du GITEX Africa.
L’heure n’est plus aux discours de bonne intention, comme ce fut le cas au GITEX Africa 2023. Pas la moindre grande annonce susceptible d’attirer l’attention des poids lourds de la tech durant cette première édition. Ce n’est certainement pas en mettant en lumière le potentiel du Maroc comme hub numérique de l’Afrique ou terre fertile de talents et de compétences dans les TIC que les grands acteurs mondiaux vont se bousculer au portillon. Le fait même que le pays ne dispose toujours pas d’une feuille de route numérique claire pose un sérieux problème. Gouvernements, investisseurs, fonds d’investissements, startups, talents… ont besoin de visibilité.
La multiplicité des intervenants pour «vendre» le Maroc numérique est loin de servir la cause. Comment expliquer en effet la création d’une nouvelle direction générale dédiée à la transition numérique au niveau du ministère délégué la Réforme de l’administration et de la transition numérique ? Un doublon de l’Agence de développement du digital ? Que deviendra donc l’ADD dans cette nouvelle configuration ? Quel rôle pour l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations en matière de promotion du Maroc digital ? Il est dommage que le mémorandum signé entre l’Etat et le groupe Gotion High-Tech (projet porté par l’AMDIE), à Marrakech, pour la mise en place d’une Gigafactory et de son écosystème pour 65 milliards de DH, ne soit pas signé au sein même du salon GITEX Africa. Un tel acte aurait pu donner un énorme éclat à cette première édition.
Dans ce nouveau contexte favorable, les leviers à actionner pour passer à la vitesse supérieure font l’unanimité. Un climat plus idoine à l’investissement dans le numérique, un environnement facilitant l’innovation à travers des mesures très attractives pour les entreprises, une digitalisation accélérée de l’ensemble des services publics, un développement soutenu de la connectivité via le haut et très haut débit et une mise en valeur des talents et des compétences.
Plus que jamais, il nous faut un énorme saut aussi bien au niveau législatif qu’économique et social pour faire du numérique un véritable levier de développement humain, d’autant que la compétition est rude. D’autres pays notamment africains offrent des cadres plus attractifs. Bref, il faut concevoir et mettre en œuvre notre propre modèle pour entrer dans le giron des nations numériques dignes de ce nom. Seuls, nous ne pouvons pas y arriver ! Il faut s’ouvrir davantage sur les meilleures expériences et tirer le meilleur des géants mondiaux. C’est la meilleure approche pour que le digital joue pleinement son rôle en faveur de la croissance. Or, l’écosystème actuel est loin de susciter la convoitise des principaux groupes dans les différents segments du numérique. On se rappelle tous de l’échec cuisant de "Morocco Tech". Ce serait dommage de se contenter d’abriter le GITEX Africa sans tirer parti de ses bénéfices potentiels en termes de développement de la société du savoir et d’économie digitale.