La plus grande démocratie du monde et la régulation des plateformes numériques
Par Raja Bensaoud, cofondatrice Digital Act
Depuis quelques années, l’Inde ne cesse d’étoffer son arsenal juridique relatif à la régulation des médias sociaux et à l’encadrement des plateformes numériques. En juin 2020, ce pays avait interdit TikTok et 59 autres applications chinoises, invoquant la protection de la sécurité intérieure et de la vie privée des indiens. En février 2021, le gouvernement Narendra Modi a adopté la loi sur l’information et les technologies,
«IT Rules 2021», entrée en vigueur en 2021. Ce texte est présenté comme un moyen pour protéger les citoyens indiens contre la désinformation en ligne et les atteintes à la vie privée. Il impose plusieurs obligations aux médias sociaux comme celle de nommer trois résidents indiens comme cadres à plein temps. Cette mesure permet de tenir pour responsable, y compris sur le plan pénal, les salariés locaux des plateformes en cas de non-respect des règles de modération imposées par le droit indien.
Plusieurs associations, ainsi que l’opposition, avaient considéré cette évolution législative comme le début d’une nouvelle ère de censure. En avril 2023, le pays annonce la création d’une agence gouvernementale de vérification des faits. Elle sera dotée du pouvoir d'ordonner aux plateformes de médias sociaux de supprimer tout contenu faux ou trompeur concernant le gouvernement. Les plateformes numériques telles que Facebook, Twitter, YouTube, devront respecter les nouvelles règles édictées et retirer les contenus dont la suppression est demandée par la nouvelle entité de fact checking. Dans le cas contraire, elles perdraient leur statut d’intermédiaires pour être qualifiées d’éditeurs d’informations. En Inde, les plateformes numériques sont en effet protégées contre des poursuites judicaires liées aux contenus des tiers qu’elles hébergent ou qu’elles mettent en ligne. Cette protection est consacrée par la section 79 de la loi indienne sur les technologies de l'information de 2000 (Information Technology Act 2000).
Le gouvernement indien justifie cette mesure qui a suscité une vive opposition par la propagation croissante de fausses informations en ligne. Ces nouvelles règles entravent, bien évidemment, le fonctionnement des géants de la tech. La multiplication, en 2022, des tensions entre Meta, Twitter ou Google et le gouvernement indien, allant même jusqu’à des assignations en justice, montrent à quel point ces entreprises sont impactées par ces nouvelles règles.
Depuis quelques années, plusieurs pays, et en particulier les grandes économies, tentent de réglementer les réseaux sociaux afin de lutter contre la propagation de fausses nouvelles, les publications haineuses ou les théories du complot. Chaque pays tente de trouver le bon modèle de gouvernance sachant qu’il est difficile de s’en remettre entièrement aux entreprises du secteur numérique pour surveiller et modérer les contenus qui circulent sur leurs plateformes. La plus grande démocratie du monde semble avoir choisi un modèle numérique qui lui est propre, en prenant des risques sur le terrain de la liberté d’expression.
*Crédit Photo. Susana Bates/AFP via Getty Images